Aimer l’Eglise en la vivant

Article paru dans la revue “itinéraire”, déc. 2014.

Jean-Baptiste Lipp s’est marié en 1987 avec Dominique Lehner, pianiste de confession catholique, qui lui donnera trois enfants. La même année, il recevait la consécration pastorale à Lausanne et prenait son premier poste à la paroisse réformée de Fribourg … jusqu’en 2004, année du déménagement de la famille à la cure de Belmont-sur-Lausanne. En marge de son ministère paroissial et ecclésial, le pasteur Lipp s’est engagé en divers lieux de dialogue oecuménique. Aumônier protestant de l’AFI-CH (Association des Foyers Interconfessionnels de Suisse), il est également membre du Groupe des Dombes.

Aimer l’Eglise universelle en la vivant

… et oser un mot magique pour lui reconnaître une belle dimension

Je ne peux plus entendre « L’Eglise »

Quand nous disons « l’Eglise », avec un « E » majuscule, ou plus encore « L’Eglise », précédée d’un « L » majuscule, que disons-nous, à y bien réfléchir ? Il est rare, pour être honnête, que nous nommions une entité plus large que notre propre Eglise. Que nous soyons membres d’une Eglise réformée ou de la catholique-romaine, d’une Eglise orthodoxe ou d’une Eglise de type évangélique, nous aurons cette tendance naturelle à envisager l’Eglise dans les limites de notre confession, notre canton ou notre assemblée… Seulement voilà, il n’en est plus ainsi pour moi, depuis longtemps, et de moins en moins ! Combien de fois n’ai-je pas complété, intérieurement, telle déclaration de l’une de nos autorités parlant de « L’Eglise » en me précisant à moi-même : « évangélique réformée du Canton de Vaud » ! Combien de fois n’ai-je pas complété telle information d’un journaliste de la RTS parlant de « L’Eglise » en complétant intérieurement, et parfois même, en l’articulant à voix haute à côté de ma radio : « catholique-romaine » ! Combien de fois n’ai-je pas rétorqué, à telle personne parlant de « L’Eglise », qu’elle parlait juste de son « assemblée évangélique » ! N’est-pas un peu comme lorsque, pour parler de Johann Sebastian Bach, nous disons Bach tout court, alors qu’il y a, chez les Bach, Wilhelm Friedemann, Karl Philipp Emanuel ou Johann Christian, pour ne nommer que quelques-uns de ses fils, compositeurs eux aussi… ?

L’Eglise au pluriel, bien entendu !

On l’aura compris, j’ai de plus en plus de peine à entendre, de la part de celles et ceux qui utilisent le terme « Eglise » sans autre précision, autre chose qu’une confiscation plus ou moins consciente du  vocable par telle confession ou communauté, même s’il ne s’agit, souvent, que d’une omission ou d’une simplification. Mais que s’est-il donc passé dans mon « ecclésiobiographie » pour que j’en arrive à pareille hypersensibilité ? Une première et forte sensibilisation à l’universalité de l’Eglise m’a été transmise lors d’une retraite pour enfants à Crêt-Bérard. Je découvrais, à 14 ans, l’Eglise-Corps du Christ, à la fois une et bigarrée. Merci à Philippe et Anne Bécholey, piliers spirituels de cette retraite, mais aussi, par la suite, à d’autres pasteurs tel Georges Besse, ou professeurs de théologie, tels Claude Bridel et Klauspeter Blaser ! Ma formation m’avait donc prédisposé à une attitude oecuménique ouverte. Mais le grand tournant fut pris lorsque je décidai, avec une jeune femme valaisanne de confession catholique, d’envisager une vie de couple pastoral et pourtant mixte… En effet, sans que je ne lui demande quoi que ce soit – et de toute manière je n’avais, quant à moi, aucune raison ou intention de le lui demander – Dominique me dit ne pas vouloir changer d’Eglise en devenant femme de pasteur. Et d’ajouter tout simplement ceci : « J’aime mon Eglise ! »

Ciel, elle aime son Eglise, et moi, et moi ?

J’ai été positivement marqué par ce « j’aime mon Eglise »  d’une catholique heureuse de l’être et désireuse de le rester! Cette position allait nous mettre au défi de cheminer au sein de l’une et l’autre Eglise, avec cette disparité évidente, mais à corriger dans la mesure de notre possible, d’un couple mixte dont l’un des deux conjoints est engagé professionnellement dans la sienne et pas l’autre. Nous serions d’autant plus attentifs à ne pas perdre tout contact et toute pratique avec l’Eglise de Dominique, que Jean-Baptiste allait s’engager à fond et à vie dans un ministère pastoral réformé… Trois facteurs ont été aidants : 1. la confiance donnée (non sans discussion serrée, il est vrai) par la commission de consécration de l’EERV ; 2. l’occasion qui s’est présentée à nous de commencer et de développer notre vie de couple à Fribourg, dans un contexte à grande majorité catholique, et avec un conseil paroissial réformé très ouvert à l’idée que l’un de ses pasteurs puisse vivre publiquement la mixité confessionnelle de son couple; 3. enfin, la rencontre du mouvement franco-suisse des foyers mixtes, et l’appel de son fondateur, le Père René Beaupère, à intégrer le comité de la revue Foyers Mixtes. Il est clair, avec le recul, que la vigilance du cheminement oecuménique de notre famille a été garantie par le réseau stimulant de quelques couples désireux, comme nous, de « thématiser » leur mixité confessionnelle, entraînant même un peu nos familles d’origine.

Ce n’est pas juste ma vie privée

Deux dépassements sont à signaler dans notre parcours. Tout d’abord, une interprétation ouverte et non restrictive de la notion du pasteur comme « figure emblématique ». En effet, mon parrain de consécration m’avait bien fait comprendre qu’en qualité de représentant d’une communauté réformée, je ne saurais me rendre à la messe, et encore moins y communier, sans engager la paroisse et l’Eglise dont je serais ministre. Retournant l’argument, après l’avoir bien médité, il m’est apparu de plus en plus clairement que je pourrais – et même que je devrais – en tant que pasteur, « emblématiser » un nombre croissant de foyers mixtes…

L’autre dépassement, dans notre petite  « église domestique », a été celui de ne pas nous contenter de la reconnaissance mutuelle du baptême par nos Eglises, lorsque nos trois enfants ont été baptisés (au temple de Fribourg). A quoi bon se réjouir de ce que le sacrement du baptême soit reconnu, si c’est pour en rester à cette étape de l’initiation chrétienne ? Baptisés dans l’Eglise réformée, admis à la sainte Cène, il nous est apparu avec une évidence grandissante que nos enfants, sans pour autant changer de confession, devraient recevoir une préparation à l’Eucharistie, et pourquoi pas, fêter une première communion du côté catholique. Afin d’être à la maison dans l’une et l’autre Eglise. Et surtout d’y vivre, de l’intérieur, la foi et la pratique dans une différence réconciliable. N’y a-t-il pas lieu de promouvoir une sorte de « bilinguisme confessionnel »? On pourrait parler de dépassement, comme on dépasse une règle. Je préférerais, quant à moi, parler d’une poussée…

Je t’aime… moi non plus ?

Deux réflexions m’ont aidé à vivre ces poussées sur un mode réflexif et non impulsif seulement. La première est celle de Paul Dubosson, fidèle du mouvement des foyers mixtes en Romandie. Lors  d’un week-end, ce paysan-professeur résumait on ne peut mieux notre problématique : « Nous nous aimons, mais nous appartenons à des Eglises qui ne s’aiment pas ! » Développons. Monsieur aime Madame, et Madame aime Monsieur (base requise pour une fidélité conjugale). Monsieur aime son Eglise et Madame aime son Eglise (base requise pour une fidélité ecclésiale). Monsieur en vient à aimer aussi l’Eglise de Madame et Madame l’Eglise de Monsieur (mise en commun des fidélités ecclésiales). Restent les question de savoir 1. si l’Eglise de Monsieur et celle de Madame s’aiment vraiment et 2. si elles comprennent l’amour partagé de Monsieur et de Madame pour leurs deux Eglises comme un avantage ou une menace… En attendant, certains couples mixtes, comme le nôtre, ont appris à aimer l’Eglise universelle au travers de celle de leur conjoint !

Cette catholicité qui nous relie

L’autre réflexion qui m’a guidé dans une pleine conscience de notre commune catholicité est celle, apportée par le professeur Gottfried Hammann, lors d’une conférence donnée à Fribourg, alors que je débutais dans le ministère. « Nous devrions tous nous considérer comme catholiques », affirmait déjà celui que, 20 ans plus tard, je côtoierais au Groupe des Dombes. Et l’historien de préciser alors, que si certains sont catholiques-romains ou catholiques-chrétiens, il nous faudrait accepter de nous présenter comme catholiques-réformés, catholiques-luthériens, catholiques-anglicans, catholiques-orthodoxes, catholiques-évangéliques ou autres encore.  En d’autres termes, la catholicité serait une qualité bien trop importante pour la laisser aux seuls romains…  Serions-nous donc prêts à intégrer ce mot « magique » pour intégrer une dimension qui devrait être tout sauf confessionnelle ou confessionnaliste ? Si j’en crois le tout récent petit livret publié par la FEPS à l’occasion des 500 ans de la Réforme, oui ! En effet, parmi les « 40 thèmes pour cheminer », le quatrième est carrément libellé de la manière qui suit (lire encadré). Encourageant, non ?

Encadré

L’Eglise protestante est-elle aussi catholique ? Les protestants se définissent souvent pas opposition au catholicisme, mais cette manière « d’exister contre » n’est plus pertinente. Et le protestantisme s’est construit sur le modèle national, mais la mondialisation est une réalité. Et d’ailleurs, si « catholique » signifie à la fois « continuité de la foi que toutes les ruptures n’ont pas détruite » et englobement de tous les peuples, comment notre Eglise peut-elle être témoin avec d’autres Eglises de la dimension universelle de l’Evangile ? Par rapport à la catholicité de notre Eglise, que voulons-nous affirmer aujourd’hui ? (Quelques références bibliques pour réfléchir : Esaïe 56, 1-7 ; Luc 10, 1-11 ; Ephésiens 2, 11-22). Lire aussi www.ref-500.ch

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