Archives de catégorie : Foyers Mixtes

Trois fois 40 ans, et après ?

Publié dans Bonne Nouvelle, septembre 2013

Dimanche 1er septembre au soir, à la Cathédrale de Lausanne, l’Atelier oecuménique de théologie (AOT) de Genève recevait un label oecuménique suisse à la fin de la grande célébration de la Communauté des Eglises Chrétiennes dans le Canton de Vaud. Depuis 40 ans, cet atelier, animé par des enseignants catholiques et protestants, a formé plus de 1700 personnes ! S’il est au service des communautés chrétiennes, l’AOT veut être aussi au service de celles et ceux qui cherchent à transformer leur errance en itinérance… A quand une formation d’adultes oecuménique dans le Pays de Vaud ? Certains lieux, comme notre Conseil Présence et Solidarité de Lavaux, ont décidé de suivre cette piste, et c’est bien ! Mais ne pourrait-on pas élargir encore?

Il y a 40 ans toujours, au niveau national, les Eglises réformées, catholique-romaine et catholique-chrétienne signaient une reconnaissance mutuelle du baptême. Puisqu’il n’y a qu’un seul baptême (cf Ephésiens 4), plus question de rebaptiser une personne qui changerait de confession. Par le baptême, nécessairement conféré par tel ministre au sein de telle Eglise, le baptisé reçoit une identité d’abord chrétienne ou ecclésiale, et non pas d’abord confessionnelle. Je ne suis donc pas baptisé protestant, mais au sein d’une Eglise protestante. Après la reconnaissance mutuelle du baptême par nos Eglises, beaucoup espéraient qu’une reconnaissance mutuelle de la communion et des ministères suivrait… A quand une permission de communier à la messe, lorsque certains d’entre nous s’y rendent, notamment pour cause de mixité confessionnelle ? Dans les faits, la plupart des prêtres exercent une belle hospitalité eucharistique. Reste hélas ce goût de transgression ou d’exception.

Il y a 40 ans enfin, sur le plan européen, les Eglises réformées et luthériennes signaient la Concorde de Leuenberg, ouvrant officiellement une communion de chaire et d’autel. En clair, il devenait possible de prêcher et de communier les uns chez les autres. C’est ainsi que, dans mon ancienne paroisse réformée de Fribourg, une pasteur luthérienne d’Alsace a pu devenir ma collègue. Pourrait-on imaginer qu’un jour, dans une même paroisse – sinon dans une même Eglise – une pasteur et un prêtre (sans oublier une diacre) pourraient se partager le service de la prédication, des sacrements, de l’accompagnement et du témoignage dans la société ? Dans 400 ans, peut-être… En attendant, 1973 aura donné de très bonnes cuvées oecuméniques !

Pasteur Jean-Baptiste Lipp

Le chemin œcuménique et la vie du couple

Quel étrange titre, pour moi qui fait vœu de célibat ! C’est que, d’une part, avant d’entrer au séminaire je vous prie de croire que j’ai bien vécu, et que, d’autre part, je me suis toujours intéressé à ce parallèle couple–œcuménisme, parce qu’il est plus pertinent qu’on ne le pense. Dans chaque couple, dans chaque relation amoureuse, il y a des constantes. Notamment les phases diverses, commençant presque toujours par une période fusionnelle où l’on veut être ensemble, et tout faire ensemble. Et puis une phase où l’on comprend que chacun, dans le couple, doit avoir ses spécificités, ses activités, ses passions, ses silences… Apprendre à cohabiter est une phase intéressante aussi. Chacun a un espace commun, chacun a aussi ses tiroirs, sa tablette dans l’armoire, sa brosse à dents. Quelle étrangeté d’ailleurs, la brosse à dents ! Voilà un accessoire que deux personnes qui partagent tout, y compris leur propre chair, se refusent absolument à partager, en général. Un outil de nettoyage…

…Et l’on ne comprend pas que nos Eglises n’arrivent pas à partager les outils du pardon ?? C’est pourtant le nettoyage de l’âme, le pardon… D’accord, le parallèle est un peu facile. Mais entrons-y plus profondément, voulez-vous ?

Nos Eglises, en tout cas les catholiques et les protestants pour ce qui est de la Suisse, ont eu leur période fusionnelle. Recherche frénétique du plaisir commun, de l’être ensemble, simplement. C’était les années 70 et 80. Tout a été essayé, en provoquant parfois les foudres des dirigeants respectifs. Et si les foudres ont été plus nombreuses côté catholique c’est aussi, peut-être, parce que les dirigeants et la hiérarchie sont simplement moins nombreux côté protestants, et moins visibles souvent. Il n’est pas simple pour des parents de voir partir systématiquement leurs ados avec leur ami/amie respectif/ve, de les voir passer des heures sur MSN ou au téléphone, bref, de les contempler dans leur période ou rien ne compte d’autre que d’être avec la personne qu’ils aiment. Les parents doivent rappeler certains devoirs et certaines barrières, les ados sont épris de liberté et de barrières enfoncées… Ambiance !

Puis est venue la période des conciliations. Je pense au texte commun entre luthériens et catholiques sur la justification, par exemple. Et cette période n’est pas exempte de tiraillements, chacune cherchant à tirer la couverture toujours de son côté en publiant d’autres textes par la suite. Pas facile, dans un couple naissant, de fixer des règles. Est-ce qu’on partage le loyer ? Dans quelle famille va-t-on passer Noël ? Et comment interprète-t-on la conciliation que vient de nous faire l’autre ? Sommes-nous toujours bienveillants ? Quel rôle pour les parents, dans cette période délicate, sinon celle du conseil, parfois très juste et pourtant très mal reçu, mais parfois aussi bien mal avisé ? Le couple apprend à vivre ensemble. C’est la période des meubles IKEA. Pas forcément solide, mais pas cher. Avons-nous fait des accords IKEA entre nos Eglises ?? En tout cas les noms des lieux où nous nous rencontrons internationalement ressemblent à des noms de meubles du géant suédois… Lviv… Sibiu…

On apprend à vivre ensemble, c’est ainsi. Je pense que c’est devant nous que se trouve encore la période plus paisible – et la plus magnifique – où chacun accepte les spécificités de l’autre tout en partageant sa vie. Et il me semble que, par nature, les couples mixtes seront ceux qui pourront aider nos Eglises à relever ce défi, sans partager la brosse à dents, en ayant chacun son côté du lit et son tiroir, mais en ayant des enfants communs. Ce qui reste le plus beau des cadeaux pour un couple.

Ces enfants, nos jeunes d’aujourd’hui, se moquent totalement de ce qui a divisé nos Eglises. Il suffisait d’être à Genève l’hiver dernier, lors des célébrations de Taizé, pour s’en rendre compte. Qu’allons-nous leur transmettre comme éducation ? Qu’est-ce que le formidable couple mixte de nos Eglises leur donne comme image, comme exemple, comme conseil ? Quels sont leurs meubles IKEA qu’on pourrait peut-être aider à consolider ?

A mon sens, c’est dans ces directions qu’il nous faudra creuser. Plutôt que de perdre temps et énergie à revenir sur nos querelles, passées ou présentes. Le défi éducationnel des couples mixtes est grand, vous le savez bien. Elargissons-le à la taille de nos Eglises, nous y trouverons des parallèles qui sont loin d’être inintéressants, comme ce petit texte tentait modestement de vous le montrer.

Vincent Lafargue

Les diverses tribus de foyers mixtes

(Communication de J.-B.Lipp pour la soirée des animateurs de CPM genevois

le 29 mai 2008 à la chapelle de Cointrin)

Henri Tincq vient de sortir un livre consacré à la planète des catholiques, où il répertorie sept tribus distinctes (traditionalistes, fantassins, charismatiques, silencieux, engagés, observateurs, progressistes, …). Si le catholicisme est une planète, s’il est un, il faut essayer de l’interpréter dans sa diversité. Toute typologie a ses limites, mais elle permet de comprendre un peu mieux de quoi on parle quand on parle d’un groupe.

Ce qui est vrai de la grande planète des catholiques l’est  également de la « nébuleuse protestante » (comme l’appellent quelques bons observateurs catholiques, comme le jésuite Albert Longchamp). Et à plus forte raison de l’espace interstellaire que nous représentons ici : les foyers mixtes ! De quel catholicisme et de quel protestantisme sont les membres d’un couple confessionnellement mixte ? Mais c’est quoi, au fond un foyer mixte ?

Dit autrement, est-ce bien clair, quand on parle de foyer mixte, qu’il s’agit de foyer mixte d’un point de vue confessionnel (catholique-réformé, orthodoxe-réformé, anglican-catholique, catholique-chrétien – luthérien, …) ? Est-ce qu’il n’y a pas, quand on parle de foyer mixte, l’idée que ce peut être un couple isalmo-chrétien ou boudhiste-chrétien ? Qu’est-ce donc aujourd’hui qu’un foyer mixte ? Et au fond, n’est-ce pas un pléonasme de parler d’un foyer mixte ? Car dans tous les couples, il y a une mixité, une mixité qui exprime une altérité propre à tout couple : déjà homme-femme (en principe), culturelle, sociale, générationnelle, etc…

Quand on dit foyer mixte, il n’est plus certain que l’on indique quelque chose de pertinent ! C’est pour cette raison que, depuis 2003 (2ème Rassemblement mondial à Rome), les foyers mixtes francophones se sont mis à parler d’eux-mêmes en termes de familles inter-confessionnelles. Cette nouvelle appellation a étonné votre formateur Jean-Daniel Robert, qui se demandait pourquoi le nom avait changé. Effet  de mode ? Rejet du Père ? Rejet du Père Beaupère, fondateur de la pastorale auprès des foyers mixtes français et suisses et directeur de la revue du même nom ? Non, certainement pas !

La preuve : si un couple adhère à l’AFI-CH, il reçoit d’office la revue FM à laquelle il n’a pas le choix de ne pas cotiser ! Si le nom a changé après le 2ème Rassemblement international à Rome, après 40 ans, c’est pour des raisons de typologie, justement. Pour des raisons de typologie et aussi de réflexion sur notre vocabulaire. Savez-vous comment on dit foyer mixte en latin (langue officielle sur la planète des catholiques)? Matrimonia mixta ! Mais en allemand, on ne dit pas Gemischte Ehe (car ce terme aurait un relent de nazisme). En anglais, on ne dit pas Mixt marriage (car ce serait une réduction sociologique). En allemand, il est question, selon le point de vue, de Konfessionsverschiedene Familien, ou de Konfessionsverbindende Familien. En anglais, Inter-church families.

Et voilà que par le biais des langues étrangères, nous, les foyers mixtes de Lyon ou de Lausanne, de Paris ou de Sion, avons été invités à revisiter notre appellation. Car derrière un nom se cache quelque chose d’une identité ! Quelle identité ? Revenons à la typologie évoquée au départ : sur la planète des catholiques, 7 tribus, dans la nébuleuse protestante, une infinité de sous-groupes (chaque ministère pourrait être un magistère). Alors à plus forte raison un couple entre un ressortissant de l’une des 7 tribus d’Henri Tincq et un ressortissant de la nébuleuse protestante. Mais pour faire bref, il y a quelques modèles assez typés dans l’espace interstellaire toujours plus habité des foyers mixtes :

– les sociologiques

– les sceptiques qui ont un alibi

– ceux qui simplifient en allant d’un côté seulement selon un critère : la mère, la majorité du lieu, la minorité comme défi, le contact avec un ministre (paroissiens de type « chien », le contact avec une paroisse (paroissiens de type « chat »)

– les souples, qui sont prêts à changer selon leurs envies ou les contingences

– les militants, qui ont reçu comme une vocation de vivre sur deux Eglises en signe d’unité

Or pour nous, qui sommes précisément du dernier type, il s’agit bel et bien de passer du statut de foyer mixte à celui de famille interconfessionnelle…

Pasteur Jean-Baptiste Lipp