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Calice au pays des merveilles…

Prédication à deux voix prononcée pour l’Assemblée Générale 2015 de l’AFI-CH

par les deux aumôniers : le pasteur Jean-Baptiste LIPP et l’abbé Vincent LAFARGUE

Textes du 4e dimanche de Carême, année B : 

2Chroniques 36,14-16.19-23 / Psaume 136 / Ephésiens 2,4-10 / Jean 3,14-21

Vous pouvez ECOUTER l’homélie en la lisant : cliquez à gauche du compteur ci-dessous :

  • Bien cher Vincent, j’aimerais à mon tour te remercier pour cette invitation à prêcher la parole de Dieu à deux voix dans cette église – l’une des églises de mon St Patron puisque tu l’as évoqué – ce d’autant qu’avec mon épouse nous avons passé quelques jours, chez toi à la cure, fin décembre, lorsque la neige a bien voulu revenir pour annoncer l’hiver. Se retrouver ici devant cette assemblée me réjouit beaucoup ! Je suis très impressionné, je dois le dire, par le nombre de clochers que votre Curé du Val d’Hérens doit desservir ! 20, si je suis bien réformé, euh informé, je voulais dire !

  • Oui, tu es bien réformé et bien informé ! C’est vrai, j’ai 20 clochers, mais tu sais, ce n’est pas tellement cela l’important. Tu vois ces visages, souriants, croyants, des visages de foi… sans eux ça n’aurait aucun sens. C’est pour eux que je fais cela et que j’ai la joie de le faire. Et puis, bien sûr, quand je parcours les routes du Val d’Hérens comme ce matin avec toi pour revenir d’Hérémence, il y a les montagnes ! Et les montagnes, c’est aussi ma joie, surtout celles d’ici…

  • Ah les montagnes, comme je te comprends ! J’essaie – mais ça va être un petit peu long – d’apprendre les montagnes que l’on voit d’ici. Evidemment la Dent d’Hérens, la Grande Dent, la Petite Dent, Dent de Péroc, Aiguille de la Tza, j’en passe et des meilleures, vous les connaissez mieux que moi bien sûr !

  • Et la Dent Blanche, évidemment !

  • J’avais oublié l’essentielle ! Elle est la plus belle et on la voyait depuis notre fenêtre ce matin ! Ces montagnes… je les trouve imposantes, où que j’aille, en Valais ou ailleurs, et je ne peux pas, lorsque je les regarde, ne pas penser à ce Psaume dit « des montées » justement, un psaume de pèlerinage : « quand je lève les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours… » (Psaume 120 ou 121). C’est vrai, ici ou ailleurs, je sens que les sommets symbolisent tout à la fois une beauté, une chance mais aussi une menace.

  • Oui, tu sens bien le contexte de vie de nos villages. La montagne peut être une menace, elle nous le rappelle parfois, elle nous a pris des êtres chers. La montagne est aussi une chance, elle nous donne bien de ses trésors. La nature ici garde tous ses droits, comme dans le Psaume. Et il y a un vrai paradoxe pour les gens qui vivent entourés de montagnes : en levant les yeux, on peut être saisi par la peur, suivant quand, et aussi être saisi par l’admiration, l’élan vers les hauteurs. C’est peut-être ça qu’on appelle la crainte. Dans la Bible, la crainte ce n’est pas la peur, c’est le respect. Et c’est peut-être cette crainte biblique que l’on ressent face aux montagnes, ici comme ailleurs.

  • Tu relies bien cette crainte biblique et certainement humaine ici, qui mêle à la fois l’admiration et la peur. L’un n’empêche pas l’autre, en effet. Je vais te dire que chez moi, c’est un petit peu la même chose… mais avec le Lac. Le Léman m’attire et me repousse à la fois. D’ailleurs, dans bien des récits d’Evangile, les plus grosses peurs des disciples de Jésus se passent sur un bateau, justement, lorsque les eaux sont déchaînées… Et quand je suis moi-même sur l’eau, par exemple avec le petit bateau de mon père, et qu’il y a un jour de gros temps et que les feux se mettent à tourner, je prie avec les mots du Psalmiste « Je lève les yeux vers les montagnes – puisqu’il y en a aussi au-dessus du Léman – d’où me viendra le secours ».

  • Tu vois, ça m’est arrivé aussi il n’y a pas très longtemps. Un matin de grosse neige, en revenant d’Hérémence pour célébrer la messe ici, alors que sur la petite route de la Traverchyre ma voiture chassait de l’arrière dans les virages… J’ai levé les yeux vers le ciel en demandant au Seigneur de me protéger, et de me faire un petit signe. Et au moment où j’ai levé les yeux, j’ai vu un hélicoptère d’Air-Glaciers qui faisait le même chemin que moi et qui allait peut-être sauver des gens en montagne. C’était peut-être pas un signe, mais c’était peut-être quand même un clin-Dieu…

  • Je crois aussi que ça devait être un clin d’oeil-clin Dieu, et j’aime bien ton exemple ! Mais je réalise aussi que si toi ou d’autres lèvent les yeux pour en recevoir le salut, qu’on peut aussi lever les yeux vers le haut et se laisser malheureusement abattre. Je pense maintenant à ces pauvres exilés de Jérusalem au bord des fleuves de Babylone et dont on a prié un si intense Psaume. Ils restent assis, ils sont tout éplorés, ils ne parviennent même pas à lever les yeux vers les branches des saules auxquelles ils ont suspendu leurs harpes. Quelle tristesse que celle de ces yeux rivés vers le bas et de ces destins tirés vers en bas !

  • Oui, le Psaume d’aujourd’hui le disait très très bien. Quelle tristesse et quelle colère, même. Et ça nous arrive à chacune, chacun d’entre nous de baisser les yeux et d’être triste ou en colère. Alors il nous semble que rien ne peut nous relever. D’ailleurs la colère finale de ce Psaume le dit très bien. Ces exilés-là – et ça nous arrive – sont dans une dynamique de mort, parfois. Ça me fait penser à notre deuxième lecture, tu sais, ce passage de la lettre aux Ephésiens, où les étrangers aux promesses d’Israël étaient eux aussi comme morts, soumis à d’autres puissances… Ils n’avaient plus confiance, il n’y avait plus de force qui puisse leur venir de l’intérieur !

  • Bien vu, mon confrère curé ! C’est exactement cela qui est décrit dans votre seconde lecture pour ce dimanche. Des hommes et des femmes à bout de batterie. Je dirais même, sans ressort aucun qui permette de se relever. Des morts vivants, quoi. Mais voilà qu’ils sont relevés par la mort victorieuse du Christ, incapables qu’ils étaient de le faire par eux-mêmes ! Ils n’y sont pour rien. C’est cadeau. Un cadeau qu’il suffit, qu’il suffisait ou qu’il suffira, d’accepter…

  • C’est vrai que pour nous relever – peut-être plusieurs d’entre vous en font l’expérience – il suffit parfois d’accueillir la grâce de Dieu, et elle vient gratuitement, elle est cadeau ! Mais il faut la recevoir ! Cela me fait dire que cette lettre aux Ephésiens, tu vois, elle aurait peut-être pu être écrite par Luther ou Calvin, parce qu’il y a cette idée de la grâce gratuite. On n’a rien besoin de faire pour que cette grâce de Dieu nous soit envoyée. Et ça, c’était un peu leur idée. La lettre aux Ephésiens, au fond, c’est une lettre aux effets bien protestants.

  • Vraiment, tu crois ?

  • Oui ! La preuve c’est que les œuvres suivent la grâce. Tu as entendu que ce passage conclut ainsi : « Nous avons été créés en Jésus-Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance, afin que nous nous y engagions. » On dirait presque que tout est préparé d’avance, que toutes nos œuvres sont prédestinées… ça c’est protestant, non ?

  • Je ne vais pas te contredire… Mais tu crois vraiment que cette lettre serait, avec cela, plus protestante que catholique ? Moi pas. Parce que je crois que l’engagement des uns comme des autres, c’est une prière de Dieu à l’homme, de quelque confession qu’il soit. Une prière qui résonne comme ceci : je me suis engagé corps et âme pour vous, je suis descendu pour vous relever, alors comment pouvez-vous ne pas lever les yeux vers moi, comment ne pouvez-vous pas vous engager à votre tour ?

  • Dieu qui nous demande de faire ceci ou de faire cela… tu es très catholique, Jean-Baptiste !

  • Tant mieux ! Et alors, pourquoi pas ? Sur ce point ou d’autres, je me sens assez catholique, « catholique réformé », tant pis… quand il s’agit de dire que Dieu compte sur nous pour continuer pour Lui ce qu’il a commencé en Christ. Et je vais te dire, je serais même assez catholique pour interpréter la passage de l’Évangile selon saint Jean comme un passage des Écritures qui nous invite à la fois à la contemplation et à l’action. Tiens, Jean l’Évangéliste nous invite à faire comme le peuple hébreu autrefois dans le désert. De même que ce peuple devait lever les yeux vers le serpent d’airain au temps de Moïse pour échapper à la mort et aux morsures des serpents, de même, nous devons lever les yeux vers le Christ pour passer ici-bas déjà d’une vie morte à une vie vivante ou échapper aussi à des morsures. Et ça, je vais te dire, et je le dis devant ta paroisse, je trouve que c’est une chose que vous savez quand même faire un peu mieux que nous : d’abord s’arrêter, contempler, adorer, prier les Laudes comme vous l’avez fait ce matin, faire silence quoi, avant de passer à l’action.

  • C’est aussi une caractéristique des montagnards d’ici, tu sais. On s’arrête, on regarde ou on va, avant de partir tête baissée… On regarde le ciel, on prend le temps de confier notre marche à Dieu, et puis on avance. Un temps de prière précède l’action, c’est vrai. D’ailleurs, tu as remarqué en quels termes saint Jean s’adressait à nous : « Celui qui fait la vérité vient à la lumière… »

  • « Qui fait la vérité ! »…

  • Il fait d’abord, et il vient ensuite à la lumière, « pour que ses œuvres soient manifestées… » II s’agit d’une vérité pratique, les deux pieds bien sur terre ! Ce n’est pas une vaste théorie comme on est en train d’en faire nous – d’ailleurs il faudrait qu’on s’arrête gentiment…

  • Oui…

  • Mais, pour terminer Jean-Baptiste, il me semble qu’en ayant dit tout ça, il me semble quand même que toi et moi, et nos deux Eglises, on communie à la même Foi ! C’est le même Christ qu’on adore, c’est le même Dieu !

  • Mais bien sûr… c’est une Foi en ce Dieu qui nous bénit et que nous pouvons bénir à notre tour. Ou comme le dit un autre passage de la même lettre aux Ephésiens : il y a un seul Seigneur, un seul baptême, une seule Foi… C’est un peu comme on le fait à chaque célébration, à chaque Eucharistie, ou à chaque saint Cène… D’ailleurs à ce propos, mon cher Vincent, je t’ai amené – je vous ai amené – une surprise pour cette messe ici… [sort le calice] Je t’ai – je vous ai – amené le plus vieux calice vaudois, qui se trouve précisément dans ma paroisse ou ma commune de Belmont. Il date du début de XIVème siècle. Autrefois utilisé bien sûr pour la messe catholique, il est utilisé depuis le XVIème siècle pour la communion selon le rite protestant. S’il y avait un musée à Belmont comme il y en a un à Evolène, on l’aurait mis au musée, mais il est dans un coffre-fort et je l’en ai fait sortir. Je trouve que ce calice symbolise à la fois une rupture et une continuité. Et aujourd’hui, j’aimerais qu’il nous parle, qu’il nous fasse parler plutôt de continuité et d’unité.

  • C’est donc un calice qui servait à la messe catholique et qui sert aujourd’hui au culte protestant.

  • C’est ça.

  • Eh bien il va servir à l’Eucharistie d’aujourd’hui, tu veux bien ?

  • Oh que je veux !

  • Ce sera ma manière, aussi, de boire à la même coupe que toi, et de te demander PARDON, Jean-Baptiste, pour toutes les fois où notre Eglise catholique a été dure avec nos frères et sœurs protestants, pour toutes les humiliations, les vexations, toutes les erreurs aussi qu’on a commises envers vous. Ce sera ma manière de te demander humblement PARDON.

  • Et comment ne pas penser au nom de mon Eglise et de certains de ses membres ou dirigeants, de te – de vous – demander PARDON aussi pour le nombre de bêtises dites ou redites, ou répétées comme des perroquets, sur les catholiques, ceci-cela, et en les méconnaissant…

    [ils se serrent la main]

  • La miséricorde de Dieu est infinie. Merci Jean-Baptiste !

  • Merci Vincent !

 

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Prédication prononcée le 15 mars 2015 à Hérémence (9.00) puis à Evolène (10.30).

L’AFI-CH s’affiche dans “Paroisses Vivantes”

En ce mois de janvier, notre association s’est affichée de la plus belle des manières dans la totalité des paroisses catholiques de Suisse Romande, via le “Dossier” des bulletins paroissiaux “Paroisses Vivantes”.

Nos deux aumôniers, Jean-Baptiste Lipp et Vincent Lafargue, ont même eu droit à deux pages d’interview.

Les 10 pages de ce dossier, remarquables d’actualité et de rigueur, sont à lire ici :

Dossier Paroisses Vivantes janvier 2015

Un grand MERCI à toute l’équipe pour ce beau document !

Le rapport de la CDPC sur le Baptême

Les deux aumôniers de l’AFI-CH, le pasteur Jean-Baptiste LIPP et l’abbé Vincent LAFARGUE, participent à la Commission de Dialogue Protestants-Catholiques (CDPC), cercle d’experts mandaté bilatéralement par la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse (FEPS) et la Conférence des Evêques de Suisse (CES) pour plancher sur divers sujets sensibles de l’oecuménisme.

La commission a travaillé dernièrement sur le baptême, notamment sur sa reconnaissance mutuelle par nos Eglises en Suisse.

Après plusieurs années de travail, voici l’intéressant rapport qui vient d’être publié :

Rapport CDPC sur le Baptême

Bonne lecture ! Et surtout, plaise à Dieu qu’il serve, ce rapport !

AFI-CH

Aumôniers et enseignants

JBL Givisiez

Photo DR : Jean-Baptiste Lipp devant une partie des futurs agents pastoraux catholiques de Suisse Romande

Le 29 avril dernier, les deux aumôniers de l’AFI-CH – le pasteur Jean-Baptiste Lipp et l’abbé Vincent Lafargue – se sont rendus à la maison des séminaires à Givisiez (FR) pour la première édition d’une formation appelée à se renouveler.

En effet, douloureusement conscients du manque de formation oecuménique des jeunes agents pastoraux – notamment d’une sensibilisation à la question des Foyers Mixtes – nos deux aumôniers ont pris le taureau par les cornes et proposé aux formateurs de prêtres et d’agents pastoraux de venir rencontrer les candidats de dernière année pour un après-midi d’échange.

Un programme varié

Au programme de cet après-midi vécu face à une petite dizaine de futurs engagés catholiques : témoignage de Jean-Baptiste sur son expérience personnelle de Foyer Mixte vécu au quotidien avec son épouse Dominique, témoignage de Vincent sur l’oeucménisme au quotidien possible dans les paroisses, présentation de divers documents – notamment les travaux des diocèses de Sion, de l’abbaye de St Maurice et du diocèse de Lausanne-Genève-Fribourg en termes d’oecuménisme ces dernières années, discussion autour du tout neuf élargissement de la reconnaissance du baptême en Suisse, petit quiz oecuménique pour terminer dans la bonne humeur.

L’échange qui a terminé l’après-midi fut riche et très encourageant pour une future édition de ce temps de formation qui aura lieu en automne.

Nous appelons de nos voeux l’office protestant de formation à imiter le CIFT catholique et à proposer cette formation pour les futurs pasteurs, diacres et personnes engagées en pastorale.

AFI-CH

 

Verre d’eau ou cocktail ?

UNE CONTRIBUTION “SHAKER” AU DIALOGUE OECUMÉNIQUE

Il y a l’oecuménisme de (grand)-papa, dont on dit qu’il traverse un hiver glacial, et l’oecuménisme des jeunes d’aujourd’hui, dont j’aime à rappeler la vitalité.

Le premier ressemble à un banal verre d’eau, le second à un étonnant cocktail de fruits.

Je m’explique. Lors du premier mouvement de l’oecuménisme, celui dans lequel s’inscrivent la plupart des initiatives prises pendant le XXe siècle, notamment depuis les années 70, on cherchait l’unité par un mouvement qui faisait disparaître les différences. Comme une équipes de scientifiques rechercherait l’eau pure, l’absolue transparence, la totale absence de goût parasite, les Eglises ont gommé tour à tour toutes leurs spécificités pour se fondre de manière toujours plus parfaite les unes dans les autres.

C’est l’époque où l’on a “épuré” tous nos rituels oecuméniques : il ne fallait pas dire tel ou tel mot, cela offenserait les catholiques, il ne fallait pas faire tel ou tel geste, tel ou tel signe, éviter tel ou tel objet, cela choquerait à coup sûr les frères et soeurs de la Réforme. Il fallait célébrer, bien évidemment, en blanc et sans aucun autre signe distinctif.

Nous sommes au XXIe siècle, n’en déplaise à certains. Et la théorie du verre d’eau a du plomb dans l’aile. Nous savons aujourd’hui que le mouvement oecuménique se nourrit des différences de l’autre et qu’il gagne à ne pas les gommer, mais au contraire à les connaître, à les découvrir, à se laisser interroger par elles, à les admirer. Cela me fait penser à un cocktail multicolore. Ces ensembles fruités que l’on nous fait goûter en nous mettant au défi de retrouver tous les ingrédients qui ont formé ce bel ensemble, cette belle unité de goûts si différents, au départ.

Une célébration oecuménique, aujourd’hui, peut être présidée par un prêtre à étole colorée, par un pasteur en robe noire. On peut faire un signe de croix au début, un geste de bénédiction à la fin, y écouter une véritable prédication réformée, y inclure une prière d’illumination, et se laisser rejoindre par tant d’autres de nos spécificités.

Il me semble tellement plus intéressant de goûter à tous ces fruits avec la jubilation des bons vivants qui savourent les différences, plutôt que d’avaler un verre d’eau avec l’air un peu pincé et la tête penchée de celles et ceux qui semblent nous dire “c’est bien mais ce n’est pas encore ça”…

En somme, dans le verset-phare de l’oecuménisme “Que tous soient un” (Jean 17,21a), à force d’accentuer le mot “un”, on a fini par oublier peu à peu le mot “tous”…

Alors à nos cocktails ! Et n’oublions pas de secouer un peu, ça mélange…

Abbé Vincent Lafargue

Retraite du Comité – 2013

« Les réunions de foyers mixtes sont une très bonne chose… Continuez ! N’hésitez pas à titiller aussi vos pasteurs et vos curés : il y a chez eux une part de fatigue concernant l’œcuménisme, mais la question n’a pas disparu. Demandez-leur : ‘Que faites-vous avec nous ?’ Et là ce sera assez difficile de ne pas vous répondre… »

Ces belles paroles sont de Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. Elles ont été dites au comité de l’AFICH lors de notre belle rencontre avec lui, à l’évêché, le samedi 9 novembre 2013.

Dans une période où l’AFICH traverse une profonde remise en question, se demandant quel est son rôle et comment le remplir, quelle structure conserver et comment continuer à vivre dans un milieu ecclésial qui s’intéresse peu à l’oecuménisme, les mots de l’évêque nous mettent véritablement du baume au coeur.

Il faut dire que l’AFICH fêtait, ce week-end-là, ses 10 ans d’existence. Et qu’en une décennie, elle avait vainement tenté de rencontrer une tête mitrée pour dialoguer. Double cadeau que nous a donc offert Mgr Morerod pour notre anniversaire !

La suite du week-end se déroula à La Pelouse sur Bex, un lieu propice à la prière et au repos, ce qui n’a pas empêché de profondes remises en question au sein même de notre Comité. Nous repartons avec un nouvel élan vers les 10 années suivantes, avec la certitude d’une nécessaire humilité : là où nous pensions essentiel de dépenser beaucoup en communication et en visibilité, il nous semble devoir simplement exister et le faire savoir peu à peu, tout en restant à l’écoute de ce que l’Esprit nous souffle…

Abbé Vincent Lafargue

Le chemin œcuménique et la vie du couple

Quel étrange titre, pour moi qui fait vœu de célibat ! C’est que, d’une part, avant d’entrer au séminaire je vous prie de croire que j’ai bien vécu, et que, d’autre part, je me suis toujours intéressé à ce parallèle couple–œcuménisme, parce qu’il est plus pertinent qu’on ne le pense. Dans chaque couple, dans chaque relation amoureuse, il y a des constantes. Notamment les phases diverses, commençant presque toujours par une période fusionnelle où l’on veut être ensemble, et tout faire ensemble. Et puis une phase où l’on comprend que chacun, dans le couple, doit avoir ses spécificités, ses activités, ses passions, ses silences… Apprendre à cohabiter est une phase intéressante aussi. Chacun a un espace commun, chacun a aussi ses tiroirs, sa tablette dans l’armoire, sa brosse à dents. Quelle étrangeté d’ailleurs, la brosse à dents ! Voilà un accessoire que deux personnes qui partagent tout, y compris leur propre chair, se refusent absolument à partager, en général. Un outil de nettoyage…

…Et l’on ne comprend pas que nos Eglises n’arrivent pas à partager les outils du pardon ?? C’est pourtant le nettoyage de l’âme, le pardon… D’accord, le parallèle est un peu facile. Mais entrons-y plus profondément, voulez-vous ?

Nos Eglises, en tout cas les catholiques et les protestants pour ce qui est de la Suisse, ont eu leur période fusionnelle. Recherche frénétique du plaisir commun, de l’être ensemble, simplement. C’était les années 70 et 80. Tout a été essayé, en provoquant parfois les foudres des dirigeants respectifs. Et si les foudres ont été plus nombreuses côté catholique c’est aussi, peut-être, parce que les dirigeants et la hiérarchie sont simplement moins nombreux côté protestants, et moins visibles souvent. Il n’est pas simple pour des parents de voir partir systématiquement leurs ados avec leur ami/amie respectif/ve, de les voir passer des heures sur MSN ou au téléphone, bref, de les contempler dans leur période ou rien ne compte d’autre que d’être avec la personne qu’ils aiment. Les parents doivent rappeler certains devoirs et certaines barrières, les ados sont épris de liberté et de barrières enfoncées… Ambiance !

Puis est venue la période des conciliations. Je pense au texte commun entre luthériens et catholiques sur la justification, par exemple. Et cette période n’est pas exempte de tiraillements, chacune cherchant à tirer la couverture toujours de son côté en publiant d’autres textes par la suite. Pas facile, dans un couple naissant, de fixer des règles. Est-ce qu’on partage le loyer ? Dans quelle famille va-t-on passer Noël ? Et comment interprète-t-on la conciliation que vient de nous faire l’autre ? Sommes-nous toujours bienveillants ? Quel rôle pour les parents, dans cette période délicate, sinon celle du conseil, parfois très juste et pourtant très mal reçu, mais parfois aussi bien mal avisé ? Le couple apprend à vivre ensemble. C’est la période des meubles IKEA. Pas forcément solide, mais pas cher. Avons-nous fait des accords IKEA entre nos Eglises ?? En tout cas les noms des lieux où nous nous rencontrons internationalement ressemblent à des noms de meubles du géant suédois… Lviv… Sibiu…

On apprend à vivre ensemble, c’est ainsi. Je pense que c’est devant nous que se trouve encore la période plus paisible – et la plus magnifique – où chacun accepte les spécificités de l’autre tout en partageant sa vie. Et il me semble que, par nature, les couples mixtes seront ceux qui pourront aider nos Eglises à relever ce défi, sans partager la brosse à dents, en ayant chacun son côté du lit et son tiroir, mais en ayant des enfants communs. Ce qui reste le plus beau des cadeaux pour un couple.

Ces enfants, nos jeunes d’aujourd’hui, se moquent totalement de ce qui a divisé nos Eglises. Il suffisait d’être à Genève l’hiver dernier, lors des célébrations de Taizé, pour s’en rendre compte. Qu’allons-nous leur transmettre comme éducation ? Qu’est-ce que le formidable couple mixte de nos Eglises leur donne comme image, comme exemple, comme conseil ? Quels sont leurs meubles IKEA qu’on pourrait peut-être aider à consolider ?

A mon sens, c’est dans ces directions qu’il nous faudra creuser. Plutôt que de perdre temps et énergie à revenir sur nos querelles, passées ou présentes. Le défi éducationnel des couples mixtes est grand, vous le savez bien. Elargissons-le à la taille de nos Eglises, nous y trouverons des parallèles qui sont loin d’être inintéressants, comme ce petit texte tentait modestement de vous le montrer.

Vincent Lafargue