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Le chemin œcuménique et la vie du couple

Quel étrange titre, pour moi qui fait vœu de célibat ! C’est que, d’une part, avant d’entrer au séminaire je vous prie de croire que j’ai bien vécu, et que, d’autre part, je me suis toujours intéressé à ce parallèle couple–œcuménisme, parce qu’il est plus pertinent qu’on ne le pense. Dans chaque couple, dans chaque relation amoureuse, il y a des constantes. Notamment les phases diverses, commençant presque toujours par une période fusionnelle où l’on veut être ensemble, et tout faire ensemble. Et puis une phase où l’on comprend que chacun, dans le couple, doit avoir ses spécificités, ses activités, ses passions, ses silences… Apprendre à cohabiter est une phase intéressante aussi. Chacun a un espace commun, chacun a aussi ses tiroirs, sa tablette dans l’armoire, sa brosse à dents. Quelle étrangeté d’ailleurs, la brosse à dents ! Voilà un accessoire que deux personnes qui partagent tout, y compris leur propre chair, se refusent absolument à partager, en général. Un outil de nettoyage…

…Et l’on ne comprend pas que nos Eglises n’arrivent pas à partager les outils du pardon ?? C’est pourtant le nettoyage de l’âme, le pardon… D’accord, le parallèle est un peu facile. Mais entrons-y plus profondément, voulez-vous ?

Nos Eglises, en tout cas les catholiques et les protestants pour ce qui est de la Suisse, ont eu leur période fusionnelle. Recherche frénétique du plaisir commun, de l’être ensemble, simplement. C’était les années 70 et 80. Tout a été essayé, en provoquant parfois les foudres des dirigeants respectifs. Et si les foudres ont été plus nombreuses côté catholique c’est aussi, peut-être, parce que les dirigeants et la hiérarchie sont simplement moins nombreux côté protestants, et moins visibles souvent. Il n’est pas simple pour des parents de voir partir systématiquement leurs ados avec leur ami/amie respectif/ve, de les voir passer des heures sur MSN ou au téléphone, bref, de les contempler dans leur période ou rien ne compte d’autre que d’être avec la personne qu’ils aiment. Les parents doivent rappeler certains devoirs et certaines barrières, les ados sont épris de liberté et de barrières enfoncées… Ambiance !

Puis est venue la période des conciliations. Je pense au texte commun entre luthériens et catholiques sur la justification, par exemple. Et cette période n’est pas exempte de tiraillements, chacune cherchant à tirer la couverture toujours de son côté en publiant d’autres textes par la suite. Pas facile, dans un couple naissant, de fixer des règles. Est-ce qu’on partage le loyer ? Dans quelle famille va-t-on passer Noël ? Et comment interprète-t-on la conciliation que vient de nous faire l’autre ? Sommes-nous toujours bienveillants ? Quel rôle pour les parents, dans cette période délicate, sinon celle du conseil, parfois très juste et pourtant très mal reçu, mais parfois aussi bien mal avisé ? Le couple apprend à vivre ensemble. C’est la période des meubles IKEA. Pas forcément solide, mais pas cher. Avons-nous fait des accords IKEA entre nos Eglises ?? En tout cas les noms des lieux où nous nous rencontrons internationalement ressemblent à des noms de meubles du géant suédois… Lviv… Sibiu…

On apprend à vivre ensemble, c’est ainsi. Je pense que c’est devant nous que se trouve encore la période plus paisible – et la plus magnifique – où chacun accepte les spécificités de l’autre tout en partageant sa vie. Et il me semble que, par nature, les couples mixtes seront ceux qui pourront aider nos Eglises à relever ce défi, sans partager la brosse à dents, en ayant chacun son côté du lit et son tiroir, mais en ayant des enfants communs. Ce qui reste le plus beau des cadeaux pour un couple.

Ces enfants, nos jeunes d’aujourd’hui, se moquent totalement de ce qui a divisé nos Eglises. Il suffisait d’être à Genève l’hiver dernier, lors des célébrations de Taizé, pour s’en rendre compte. Qu’allons-nous leur transmettre comme éducation ? Qu’est-ce que le formidable couple mixte de nos Eglises leur donne comme image, comme exemple, comme conseil ? Quels sont leurs meubles IKEA qu’on pourrait peut-être aider à consolider ?

A mon sens, c’est dans ces directions qu’il nous faudra creuser. Plutôt que de perdre temps et énergie à revenir sur nos querelles, passées ou présentes. Le défi éducationnel des couples mixtes est grand, vous le savez bien. Elargissons-le à la taille de nos Eglises, nous y trouverons des parallèles qui sont loin d’être inintéressants, comme ce petit texte tentait modestement de vous le montrer.

Vincent Lafargue